Voyage en pays bleu

Le bleu, le favori des Occidentaux

Les couleurs sont avant-tout une histoire de goûts, elles reflètent toute notre diversité, et pourtant il en est une qui fait la quasi unanimité en Occident, c'est le bleu. Le bleu arrive en tête, et de loin, de tous les sondages d'opinion et ce, depuis environ 200 ans (date des premières études à ce sujet). 
Dans les tons clairs, le bleu symbolise le merveilleux, la liberté, le rêve, la jeunesse. Dans les tons foncés, il représenterait plutôt la sécurité, la vérité, la confiance, l'intelligence. Bleu ciel, cyan, roi, marine, outremer, turquoise, nuit, Klein, les nuances de bleu sont multiples.
Parmi elles, il y en a une particulièrement fascinante. Aujourd'hui je vous emmène en voyage... un voyage au coeur du bleu d' Asie, j'ai nommé le bleu indigo.
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Indigo artisanat japonais

 Voyage au coeur du bleu indigo, trésor de l'artisanat asiatique

En Septembre 2022, je découvrais le travail de Laurence Corteggiani. Ses photographies, prises lors de ses voyages en Corée, au Japon, en Inde, en Thaïlande m'envoutèrent immédiatement. Notamment, sa campagne "En Asie, sur les chemins de la teinture indigo". Je dois bien avouer que celle-ci m'a beaucoup inspirée et accompagnée lors de la création de ma propre collection l'or bleu :)
Toutes les photographies de cet article sont de Laurence.
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Atelier Ikiwa Indigo
 
L'indigo est une teinte qui a été maîtrisée très tôt par les peuples asiatiques (il y a environ 4000 ans) et très mystérieusement grâce à des plantes différentes. C’est la raison pour laquelle, il est difficile de caractériser précisément la couleur indigo: selon la plante utilisée (et aussi le processus de fabrication), la teinte tirera plus sur le violet ou sur le vert. On retrouve cette tradition dans la majorité des pays asiatiques: du Bouthan au Cambodge, du Japon à la Corée. 
Comme l’explique Laurence, l’obtention de l’indigo est le fruit d’un long et fastidieux travail. On imagine aisément que l’indigo ait été obtenu par le fruit du hasard, d’accidents heureux car en apparence, rien ne permet de dire qu’une teinte bleue peut être créée par l’indigotier, la renouée ou le pastel. Ces plantes sont bien vertes, n'ont rien de bleu (ni fleurs, ni racines)  et n’ont qu’un seul point commun: elles renferment un composé organique: l’indican. 
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Le procédé d’obtention de l’indigo commence par la macération des branches des plantes à indigo (indigotier, renouée, pastel, laurier). Voici les différentes étapes du processus de fabrication, extrait de “En Asie, sur les chemins de la teinture indigo”:
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Habituellement, on récolte les branches des plantes à indigo, que l’on fait macérer dans de l’eau pendant quelques heures, jusqu’à ce que le liquide prenne une texture épaisse dans des tons jaunes-bruns. La surface est alors mélangée et battue, pour y introduire de l’oxygène. La matière vire au vert, puis au bleu, et un épais dépôt se forme. Le liquide restant est retiré, le sédiment est chauffé puis filtré pour donner une épaisse pâte que l’on laisse sécher avant de la transformer en blocs ou boues que l’on pourra conserver plus ou moins longtemps. Ces blocs de matière indigo, qui ne sont pas solubles, doivent être rendus solubles par la fermentation avant d’être rendus insolubles de nouveau par l’oxygénation une fois en contact avec les fibres (la dernière étape). La fermentation est un processus très lent qui s’effectue généralement dans des cuves, où la matière est mélangée à un agent qui varie selon les pays et les régions: de la chaux, de la bière, du saké… La cuve d’indigo prête (après 30 ou 40 jours dans certains cas) les fibres (fils ou textile déjà tissés) peuvent y être trempées. C’est en retirant les fibres de la cuve, lorsqu’elles entreront en contact avec l’oxygène de l’air, que la couleur bleue apparaîtra. La densité du bleu (du plus clair au plus foncé) dépendra du nombre de bains d’indigo que les fibres prendront et de la concentration en composant actif de la plante.” 

 

 Indigo technique japonais

 

Notons pour finir, que l'indigo est l'une des teintures naturelles les plus anciennes au monde et sa technique traditionnelle est, en réalité, maitrisée par beaucoup de peuples indigènes sur tous les continents: l'Afrique de l'ouest, le Pérou, l'Inde... On estime qu’il existe dans le monde entre 200 et 700 espèces de plantes se développant dans des climats très différents et permettant de produire de nombreuses nuances de bleus.

Le shibori, le tie and dye ancestral japonais

L'indigo est indissociable d'une autre technique phare de l'artisanat japonais, l'une des plus anciennes d'ailleurs: le shibori. Le shibori est une technique de teinture par nouage, par pliage, par ligature ou encore par torsions. Le principe est d'exposer une partie seulement du tissu à la teinture, le plus souvent de l'indigo (plus rarement de la betterave ou de la garance). Cette méthode de teinture permet une infinie variété de motifs qui seront tous uniques et difficilement répétables. A ce sujet, vous pouvez visiter le musée Arimatsu (Préfecture d'Aichi au Japon) qui est dédié à toutes les techniques shibori, et est encore aujourd'hui un atelier de fabrication après 400 ans de fonctionnement.
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Shibori, technique japonaise
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Tout comme l'obtention de l'indigo, le shibori est un processus long, manuel et qui requiert un savoir-faire spécifique. Le tissu utilisé doit être blanc (ou très clair) et sec. Selon le motif que l'on voudra obtenir, on pourra le plier autour d'un mât, le nouer avec des aiguilles ou des élastiques, il pourra aussi être attaché à un cadre ou à un portant avec des pinces. Toutes ces altenatives laissent évidemment bonne place à l'aléatoire et la surprise! Une fois le tissu noué, il est plongé intégralement dans la cuve de teinture pendant quelques minutes, maximum une demi-heure. Ce n'est qu'en sortant de la cuve, et au contact avec l'oxygène, que le fameux bleu apparaitra. On peut répéter ces bains autant de fois que l'on souhaite en fonction de l'intensité du bleu recherché (de 2 bains pour un indigo clair, presque blanc (le shira ai) à 8 bains pour l'indigo le plus foncé, le kachi-iro, un indigo presque noir). La dernière étape est de dénouer, libérer le tissu tout en le baignant dans de l'eau claire et chaude.
Cette technique a été utilisée dès le VIIIème siècle pour la fabrication des kimonos pour les nobles et des habits des samouraïs, sous l'armure.
Il existe toutes sortes des motifs: des motifs concentriques, des lignes fines, des toiles d'araignées, des très géometriques ou très aléatoires. Je vous laisse ici admirer quelques exemples de motifs shibori:
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Shibori les différents motifs

Les différentes techniques Shibori

 

Quelques liens pour approfondir le sujet:
- Bleu, histoire d'une couleur (2014) Michel Pastoureau
- Le magnifique site de Laurence Corteggiani Atelier Ikiwa pour vous inspirer, vous faire voyager, et vous faire découvrir toute la richesse de l'artisanat asiatique.
- Indigo, périple bleu d’une créatrice textile (2012) Catherine Legrand
- Le musée du Shibori au Japon, Arimatsu