La couleur au Japon, une notion concrète et naturelle

La nature et les couleurs: deux notions indissociables au Japon

Blanc clair de lune, couleur aile de corbeau, couleur plume de corbeau mouillée, vert jeune bambou, couleur coquille d'oeuf... Lorsque l'on commence à s'intéresser aux couleurs au Japon, le vocabulaire fait sourire et surprend, notre terminologie semble bien pauvre à côté! 
Il existe plus de 1000 nuances pour qualifier une couleur au Japon, essentiellement basées sur la faune, la flore, la nature en général.
Au Japon, les couleurs sont définies avec des repères très concrets contrairement à notre culture occidentale, plus abstraite. Il est clair que nous ne voyons pas la même chose. La couleur comme “fait culturel” a notamment été théorisée par l'historien des couleurs Michel Pastoureau “les définitions, les conceptions, les perceptions des couleurs varient selon les cultures. Même si je me borne à l'Europe occidentale, je lis les travaux des autres et je sais bien, par exemple, que, pour un Japonais, le rouge est plutôt une couleur apaisante (l'idée du rouge tonique, excitant, est occidentale, et non universelle) ; que l'oeil japonais distingue mieux que nous différentes nuances dans les gammes des rouges, et surtout des blancs. La langue japonaise a ainsi pour certaines couleurs une richesse ou une subtilité de vocabulaire que les langues européennes ont du mal à traduire

De part sa géographie (uniquement 20% du territoire japonais est habitable) et les nombreux risques naturels (tsunami, tremblements de terre, typhons…) la nature est autant respectée que crainte par les japonais. Le Japon se distingue aussi par une grande variété de climats et par une saisonnalité très marquée. Chaque changement de saisons est largement célébré et les fêtes populaires sont essentiellement basées sur la nature au sens large (une variété de fleurs qui éclot, le début de la saison des pluies, l'apparition de la rosée blanche du matin...). Les japonais célèbrent autant la beauté de leur nature que son caractère éphémère. L’exemple le plus probant est la fête des fleurs de cerisiers (Hanami) les premiers jours d’Avril: aussitôt écloses, les fleurs s’envolent au moindre souffle de vent. 

Des couleurs aux usages strictement codifiés

Les successives cours impériales ont codifié les couleurs et leurs usages pendant des siècles allant même jusqu'à interdire certaines teintes au peuple en les réservant pour les plus hauts dignitaires lors de cérémonies particulières. La couleur Murasaki était par exemple réservée au plus haut niveau de la société japonaise. Cette teinte était alors obtenue gràce à la racine du grémil (petit arbuste aux fleurs bleutées), dont les pigments étaient très difficiles à fixer. Chaque tissu de cette couleur était d'une valeur inestimable. Une autre couleur qui était alors réservée à l'impératrice et ses dames d'honneur est la teinte Fuji-iro, inspirée des fleurs de la glycine du Japon. En règle générale, les couleurs interdites au peuple l'étaient aussi implicitement par leur coût et la difficulté de les obtenir. C'est le cas également de la teinte Karakunerai issue du pigment extrait d’une plante, appelée le carthame des teinturiers (appelé aussi le safran des teinturiers). Le carthame est l'une des plus anciennes cultures de l'humanité, on le cultivait déjà en 2000 av. JC en Egypte. 

Violet au Japon Mauve au Japon Rouge au Japon



 Vous l'aurez compris, l'artisanat japonais a par ailleurs développé un savoir-faire unique dans la teinture naturelle, réussissant à retranscrire la moindre nuance gràce à la maîtrise des pigments végétaux (indigo, carthame...) On dénombre ainsi environ 1000 nuances, identifiées et répertoriées, une palette unique dans le monde connu et qui explique le vocabulaire si riche et précis de la langue japonaise. Parmi les techniques de teintures qui subsistent encore aujoud'hui, notons le Shibori (technique de noeuds et de pliages de tissus créant des motifs uniques) qui se réalise de façon traditionnelle avec l'indigo.
 
J'ai choisi d'illustrer mon article par une sélection colorée saisonnière de la talenteuse koyomiste et illustratrice Bénédicte dont je vous invite à découvrir l'univers. Son blog est une source inépuisable d'inspiration!

 

 

Couleurs automne au Japon

 

Couleur hiver au Japon

 

Couleurs printemps au Japon

 

Couleurs été au Japon

 

Quelques liens pour approfondir le sujet:
- Couleurs (2010) Michel Pastoureau
Podcast France Culture, Des goûts et des couleurs, Michel Pastoureau
- Blog de la française Bénédicte, vivant au Japon depuis 10 ans, véritable experte en coutumes et traditions japonaises, ses articles sont passionnants et ses photos, merveilleuses!
- Le site Color name que j'ai trouvé par hasard en écrivant cet article. Vous y trouverez absolument toutes les couleurs existantes, leur définition, leur couleur complémentaire, des dégradés, différents motifs basés sur cette même couleur. 
- Sur Instagram, le compte colours.cafe qui vous donnera plein d'idées sur des palettes originales, de belles associations de couleurs. Incontournable, si vous voulez refaire les peintures de votre cuisine :)